Pour la Cour des Comptes et le Sénat « repenser l’Éducation prioritaire » signifie « dépenser beaucoup moins pour l’Education prioritaire »
À ces mots, on cria haro sur le baudet.
Un Loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.La Fontaine, Fables, VII, 1 « Les Animaux malade de la peste »
A la recherche effrénée d’économies budgétaires dans l’espoir de réduire le déficit de l’État creusé
par les baisses de cotisations accordées aux entreprises, la Cour des Comptes et la commission des finances du Sénat se sont livrées dans de récents rapports (Cour des Comptes, L’Éducation prioritaire une politique à repenser 2014-2025, mai 2025, abrégé en CC, Sénat, L’Éducation prioritaire une politique à repenser, rapport provisoire au 6 mai 2025, abrégé en S) à un mauvais procès contre l’éducation prioritaire et contre les personnels qui y exercent. Si les pouvoirs publics croient vraiment pouvoir mettre en œuvre impunément ce projet sans réaction de la part des collègues, ils commettent une grave erreur.
UN ACTE D’ACCUSATION PARTIAL
L’état des lieux se veut alarmiste. Le coût de la politique d’éducation prioritaire aurait été multiplié par 2,5 en près de dix ans, passant de 1,4 milliard d’euros en 2014 à 2,6 en 2023 (S, p. 18, CC p. 20-21 mais p. 9 les chiffres cités pour 2014 sont de 1,1 milliard…). En seraient principalement responsables,
– outre la politique de dédoublement des classes dans le premier degré pour 800 millions d’euros,
– la hausse des indemnités versées aux personnels des établissements classés REP + à partir de 2022, pour un montant de 291 millions d’euros,
– et les allégements de service pour les enseignants en REP+ soit 18 demi-journées de décharge dans le premierdegré et la pondération de 1,1 dans le second pour de plus de 200 millions d’euros (S, p.18, mais de nouveau les estimations varient sensiblement au fil du texte).
Or malgré cette envolée des dépenses, les objectifs assignés à l’Education prioritaire seraient loin d’être atteints (S, p.9). Elle n’aurait pas réussi à réduire « à moins de 10 % les écarts entre les élèves scolarisés en éducation prioritaire et ceux scolarisés hors éducation prioritaire dans la maîtrise des compétences de base en français et en mathématiques sans que les résultats globaux ne baissent »
(circulaire n° 2014-077 du 4 juin 2014 portant refondation de l’éducation prioritaire, CC, p. 17). À la session 2022, seulement 78 % (77 % en 2016) des élèves en REP+ ont obtenu le diplôme national du brevet (DNB), série générale, contre 81 % des élèves en REP et 89 % (87 % en 2016) dans le public hors éducation prioritaire (CC p. 74).
DE LOURDES RÉQUISITIONS
Après avoir estimé qu’« une telle inefficience dans l’allocation des moyens consacrés à l’éducation prioritaire est particulièrement regrettable » (S p.11), le Sénat formule une série de recommandations destinées, selon lui, à corriger les abus (S, p.7) :
« Renforcer le pilotage concerté entre le ministère de l’éducation nationale, le ministère chargé de la politique de la ville, les préfectures, les collectivités territoriales et les acteurs locaux de l’insertion concernant la politique de l’éducation prioritaire, sur le modèle des cités éducatives », c’est-à-dire territorialiser davantage encore l’Éducation nationale afin de pouvoir déréglementer toujours plus ;
« étendre la liste des postes “à profil“ de l’éducation prioritaire pouvant faire l’objet d’une procédure d’affectation spécifique par les académies », en clair remettre en cause le droit à mutation et l’égalité de traitement entre tous les agents ;
« revoir les modalités de définition de la quantité d’heures libérées pour les enseignants des REP + et renforcer la participation de ces enseignants au temps de travail collectif de l’établissement » ou, en bon français, alourdir les obligations de service des personnels, en multipliant les réunions, les temps de concertation, les formations obligatoires sous prétexte de justifier ainsi la pondération à
laquelle ils ont droit ;
« mettre en œuvre une véritable progressivité des moyens consacrés à la politique d’éducation prioritaire pilotée au niveau académique, en refondant l’ensemble des dispositifs existants (cités éducatives, contrats locaux d’accompagnement, territoires éducatifs ruraux, REP et REP +) en
un seul continuum de moyens alloués aux établissements selon certains indicateurs socio-économiques » pour ne pas dire rendre discrétionnaire l’attribution des moyens aux établissements et aux personnels. En effet dès lors que « le coût spécifique de l’éducation prioritaire résulte
à 99,3 % des coûts salariaux » (CC p. 21) réduire les dépenses sur ce poste revient à s’attaquer à la rémunération des agents. D’autant que le niveau des indemnités REP+ est jugé trop élevé pour favoriser un renouvellement souhaitable des équipes (CC p. 47).
DES PERSONNELS BIEN DÉCIDÉS À DÉFENDRE L’ÉDUCATION PRIORITAIRE ET NE PAS SE LAISSER SACRIFIER
Ces préconisations sont indécentes alors que de l’aveu même des rapporteurs, l’éducation prioritaire manque, elle aussi, de tout : d’enseignants titulaires (CC p. 42), de remplaçants (CC p. 49), « de personnels médicaux, paramédicaux et d’assistants sociaux » (CC p. 66), d’« assistants
d’éducation » (CC p. 46)…, et alors qu’elle concentre les difficultés sociales avec notamment une surreprésentation des familles nombreuses, monoparentales, au chômage et sous le seuil de pauvreté (CC p. 27).
Elles sont scandaleuses car elles feraient retomber une fois de plus les mesures d’austérité sur les personnels alors que ceux-ci doivent travailler plus longtemps pour toucher une retraite à taux plein, que leur pouvoir d’achat est en baisse du fait de la non revalorisation de la valeur du point d’indice au niveau de l’inflation, que la GIPA a été supprimée, qu’un jour de carence a été rétabli, que l’indemnisation des congés de maladie ordinaire a été diminuée de 10%…
Les agents ne sont pas disposés à voir leurs droits une nouvelle fois remis en cause. Le SNFOLC se tiendra à leur côté pour s’opposer à toute attaque contre leur statut, leur rémunération et leurs conditions de travail. Il soutiendra toutes les mobilisations en défense du service publique de l’Éducation. Il appuiera tous les établissements (collèges et lycées) qui souhaitent entrer dans l’éducation prioritaire.
Le gouvernement est prévenu.