DYNAMISATION OU DYNAMITAGE DES CARRIÈRES ?
« Ce roi est un grand magicien: il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets; il les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à leur persuader qu’un écu en vaut deux, et ils le croient. »
Montesquieu, Lettres persanes, XXIV
Après deux groupes de travail consacrés à « l’amélioration du déroulement de carrière des enseignants » organisés les 9 et 29 avril 2025 pour un simulacre de concertation, le ministère de l’Education nationale a présenté le 6 mai au comité social d’administration un projet de décret « portant diverses dispositions statutaires. »
Le CSA s’est prononcé à l’unanimité des suffrages exprimés contre le texte par 10 voix (FO, FSU, CGT, SNALC) et 5 abstentions (UNSA, CFDT, Sud).
Pourquoi un tel rejet ?
LE PROJET MINISTÉRIEL
La réforme consiste, premièrement, à compter du 1er septembre 2025
- à supprimer les bonifications d’un an accordées à 30% des promouvables au 7ème et au 9ème échelons de la classe normale des professeurs agrégés, certifiés, P.EPS, PLP, CPE et PsyEN (et pour le 1er degré les PE),
- et à réduire en contrepartie la durée d’échelon dans ces mêmes corps
de six mois pour :
– le 5ème échelon de la classe normale (2 ans au lieu de 2 ans et demi
actuellement),
– le 6ème échelon de la classe normale (2 ans et demi au lieu de 3 ans
actuellement),
– le 7ème échelon de la classe normale (2 ans et demi au lieu de 3 ans
actuellement),
d’un an pour le 8ème échelon (2 ans et demi au lieu de 3 ans et demi
actuellement).
Le reclassement s’effectuerait sans report de l’ancienneté. Qu’un agent au 5ème échelon ait 2 ans et 6 mois ou seulement 2 ans d’ancienneté au 1er septembre 2025, il se retrouverait positionné à cette date au 6ème échelon sans ancienneté.
Deuxièmement, à partir du 1er juin 2026 la position des rendez-vous de carrière serait modifiée :
- Le premier interviendrait « lorsque, au 31 août de l’année scolaire au titre de laquelle le rendez-vous est organisé, l’intéressé justifie de quatre années de services pris en compte pour l’avancement d’échelon, après sa titularisation ».
Les personnels qui, à la suite d’un reclassement entreraient au 7ème échelon de la classe normale ou à un échelon supérieur de leur nouveau corps, seraient dispensés de ce premier rendez-vous de carrière,
- Le deuxième rendez-vous de carrière aurait lieu « lorsque, au 31 août de l’année scolaire suivant l’année du rendez-vous, l’intéressé remplit les conditions d’avancement à la hors-classe » soit donc a priori à un an d’ancienneté dans le 9ème échelon,
- Le troisième rendez-vous de carrière serait organisé « lorsque, au 31 août de l’année scolaire suivant l’année du rendez-vous, l’intéressé remplit les conditions d’avancement à la classe exceptionnelle », soit donc a priori à 1 an et demi d’ancienneté dans le quatrième échelon de
la hors classe (deux ans dans le deuxième échelon de la hors classe pour les agrégés).
La réforme n’envisage nullement de remettre en cause le caractère pérenne de l’appréciation finale attribuée à l’issue, aujourd’hui du troisième rendez-vous de carrière, demain du deuxième pour l’accès à la hors classe. Tous les efforts fournis par la suite, tout l’engagement au service des élèves, de l’institution, de la discipline ne seront toujours pas pris en compte dans la promotion. C’est particulièrement démotivant. Pire ce verrouillage de l’évaluation après le rendez-vous de carrière a
vocation à être étendu pour la promotion à la classe exceptionnelle.
Troisièmement, il était prévu de modifier les conditions de promouvabilité de grade : pour être éligible
- à la hors classe il aurait fallu justifier « d’au moins trois années de services dans le premier grade d’un corps enseignant, de personnel d’éducation ou de psychologue de l’éducation nationale ».
- à la classe exceptionnelle il aurait été nécessaire de justifier « d’au moins trois années de services dans le grade de la hors classe » de son corps.
Loin de « dynamiser » les carrières, la mesure aurait conduit à freiner l’avancement des agents, à réduire le nombre de promouvables et donc le nombre de promus. Devant les protestations des représentants des personnels, le ministère a finalement accepté de retirer cette disposition.
Quatrièmement, les taux de de promotion à la hors classe passeraient de 23% en 2025 à 25% en 2026 et à 27% en 2027 et à 29% en 2028.
UN TOUR DE PASSE-PASSE
Cette nouvelle modification du déroulement des carrières depuis 2017, démontre, s’il en était encore besoin, que la réforme PPCR, comme l’avait signalé à l’époque le SNFOLC, n’a réglé aucun des problèmes auxquels elle était supposée répondre : perte de pouvoir d’achat, manque d’attractivité des professions de l’Education nationale, complexité des procédures d’avancement et de promotion, absence de reconnaissance de la part de l’institution, gestion des ressources humaines de plus en
plus autoritaire et maltraitante, conditions de travail qui ne cessent de se dégrader… Les mesures proposées actuellement n’y changeront rien.
D’abord elles sont, pour une large part, autofinancées. La réduction de la durée d’échelon permettra certes d’obtenir une augmentation du traitement indiciaire mais celle-ci s’accompagnera d’une réduction de la prime d’attractivité. Certes, 70% des agents au 6ème échelon de la classe normale verront leur traitement indiciaire mensuel augmenter de 132,91 euros brut en avançant six mois plus tôt au 7ème échelon. Mais dans le même temps, leur prime Grenelle diminuera de 83,33 euros brut mensuels. Le gain ne sera donc plus que de 49,33 euros brut. Il est vrai que pour 30% des collègues, l’avancement sera retardé de 6 mois et ils perdront, eux, 49,33 euros brut sur cette période. Comme la valeur du point d’indice n’a pas été indexée sur l’inflation, au final, personne ne sera gagnant.
Ensuite, la modification des ratios de promotion à la hors classe est une opération en trompe l’œil. Du fait de la diminution du nombre de titulaires, le nombre de promouvables diminue en proportion, : 3 256 en 2024, 2 749 en 2025, 2 535 en 2026, 2 513 en 2027 pour les professeurs agrégés ; 9 275 en 2024, 8 933 en 2025, 8 720 en 2026, en 8 740 en 2027 pour les professeurs certifiés…
En clair, ces mesures s’inscrivent dans la logique de la circulaire du premier ministre du 23 avril 2025 : « l’enveloppe budgétée pour l’année constitue une limite maximale, tant pour le financement d’éventuelles mesures nouvelles que pour assurer le financement de mesures prises précédemment, dont l’impact sur l’année serait croissant. »
Enfin, comme lors de la réforme initiale PPCR de 2017, les professeurs de chaires supérieures sont exclus de toute « dynamisation » de leur déroulement de carrière. A l’époque, leur mobilisation leur avait permis d’abord accéder à la hors échelle B en revenant dans le corps des agrégés, puis en restant dans leur corps par le biais d’un échelon spécial contingenté, enfin par la transformation de l’échelon spécial en 7ème échelon non contingenté. Nul doute qu’ils ne manqueront pas de réagir
avec leurs syndicats à cette nouvelle preuve de mépris.
LES REVENDICATIONS DEMEURENT
Les propositions exposées par le ministère restent insignifiantes au regard de la situation des personnels. Non seulement ils ont vu, comme tous les salariés, l’âge légal de la retraite reporté de 62 à 64 ans, mais encore, comme tous les agents publics, ils ont été lourdement pénalisés par le gel de la valeur du point d’indice en 2024, en 2025 et sans doute aussi en 2026, par la suppression de la garantie individuelle du pouvoir d’achat, ou par la baisse de 10% de l’indemnisation des congés de maladie ordinaire… Or les enseignants français sont rémunérés à un niveau inférieur à celui de la moyenne de l’OCDE (Regard sur l’Education 2024, p. 418) et touchent un salaire plus faible de 23,9% que celui des autres fonctionnaires de catégorie A (Insee Première, n° 1861, juin 2021, p. 3).
Comme la réforme PPCR de 2017, comme le Grenelle de l’Education de 2021, les annonces faites aujourd’hui par le gouvernement ne constituent en rien une revalorisation. Ce n’est pas revaloriser les professeurs que d’exiger d’eux qu’ils prennent en charge de nouvelles tâches pour seulement espérer maintenir leur pouvoir d’achat, ainsi que l’avoue à demi-mots le ministère dans une réponse à une question d’une parlementaire « dans le cadre de la mise en œuvre du pacte enseignant, des missions complémentaires sont proposées aux enseignants volontaires qui peuvent ainsi bénéficier d’une revalorisation supplémentaire. Ces missions sont rémunérées 1 250 € brut par an et par mission. » (JOAN, 15 avril 2025). Ces réformes incessantes des parcours professionnels s’apparentent plutôt à des opérations de diversion destinées à faire croire que les personnels n’ont aucune raison d’être mécontents. Mais l’opinion publique n’est pas dupe. L’illusion n’opère plus. Le roi est nu.
Aux côtés du SNFOLC, les collègues se mobilisent pour exiger
- l’augmentation immédiate de la valeur du point d’indice de 10% pour couvrir l’inflation des dernières années et un rattrapage à hauteur des pertes subies (31,5% depuis 2000),
- l’ouverture d’une négociation générale sur la revalorisation de la valeur du point d’indice et sur l’amélioration des grilles indiciaires,
- l’abrogation de la réforme PPCR, imposée en 2015 par le gouvernement de Manuel Valls malgré l’opposition des organisations syndicales majoritaires de la fonction publique,
- un véritable déroulement de carrière garantissant l’accès pour tous à l’échelon terminal du corps pour une carrière complète,
- le retour à une retraite à taux plein dès 60 ans après 37,5 ans de cotisation,
- l’examen des projets de tableaux d’avancement et de promotion par les commissions administratives paritaires compétentes comme c’était le cas avant la mise en œuvre de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 dite de transformation de la fonction publique, afin d’assurer une certaine transparence des opérations, de signaler, faire corriger les éventuelles erreurs de l’administration et vérifier qu’a bien été respectée l’égalité de traitement entre tous les agents.