Par une lettre en date du 30 août 2023, Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale a chargé l’Inspection générale de l’Éducation, du sport et de la recherche (IGESR) d’une mission d’enquête sur « les enseignements pluridisciplinaires au lycée général, technologique et professionnel » (BOEN, n°33 du 7 septembre 2023).
La mission vient de rendre son rapport. Ce dernier poursuit une campagne – déjà ancienne – contre les disciplines, accusées de tous les maux. Le cloisonnement disciplinaire ne pourrait, selon les auteurs du rapport « que favoriser […] les pouvoirs technocratiques et bureaucratiques dans leurs stratégies dominantes » (IGESR, Les enseignements pluridisciplinaires au lycée général, technologique et professionnel, rapport n°23-24 003B – décembre 2024, p. 7).
Outre, un langage abscons, cette nouvelle attaque contre l’enseignement disciplinaire au Lycée poursuit une logique qu’avait accentué le baccalauréat Blanquer en instaurant la pluridisciplinarité des enseignements au travers des spécialités comme par exemple Humanité Littérature et Philosophie (HLP).
Ne soyons pas dupe, cette volonté de casser les disciplines ne répond pas à des considérations pédagogiques mais essentiellement à des préoccupations budgétaires. En effet, la Cour des Comptes estime depuis longtemps que la monovalence des enseignants du second degré serait un luxe exorbitant que le pays ne pourrait plus se permettre.
- « Les collèges et lycées de taille petite ou moyenne ne peuvent pas toujours offrir des postes complets aux enseignants dans leurs disciplines respectives, obligeant ces derniers à travailler sur plusieurs établissements ou laissant les enseignants à service incomplet, malgré une rémunération pour un service complets.
- La monovalence des enseignants remplaçants rend difficile l’adéquation entre les besoins de remplacement et les remplaçants disponibles ;
- Les causes de surnombres ou de déficits disciplinaires (nouvelle grille horaire, modification locale des cartes de formation, mauvais calibrage des postes au concours, etc.) ne peuvent être absorbées qu’avec difficulté. Les enseignants en surnombre étaient estimés à 1 544 en juin 2011 » (Gérer les enseignants autrement, mai 2013, p.47).
- Constatant que « certains cursus scolaires et surtout certaines disciplines présentent un coût très nettement supérieur aux matières du socle disciplinaire » elle plaide pour « réduire la dispersion de l’offre de formation notamment en matière d’options » (Le Coût du lycée, septembre 2015, p. 85).
La monovalence des enseignants est donc pour la cour des comptes, un coût, un frein à une meilleure efficience des moyens alloués. La plurivalence permettrait assurément de faire des économies substantielles au détriment des collègues et des élèves. Le rapport de 2024, plus alambiqué et sous couvert de scientificité, « d’interdisciplinarité » et de « transdisciplinarité » explique qu’il faut « faire évoluer les enseignements de la multi ou pluridisciplinarité vers une véritable interdisciplinarité, dans la rédaction des programmes et la définition de leurs contenus » ;
explique qu’il faut « organiser les contenus programmatiques autour des objectifs généraux de formation » et « introduire de la souplesse dans le choix des objectifs thématiques abordés pour tenir compte de l’hétérogénéité des publics ». Donc il s’agit de pousser les collègues vers la plurivalence, de casser les disciplines, les statuts (les règles communes de recrutements, de gestion, de promotion des collègues…), par exemple en « identifiant au niveau académique, des postes à profils pour certains enseignements pluridisciplinaires pour lesquels il apparaît nécessaire d’avoir des compétences spécifiques et de stabiliser les enseignants ; les mouvements spécifiques (POP, SPEN ou SPEA) peuvent répondre à ces deux objectifs ».
À titre d’exemple, le rapport cite la spécialité HGGSP qui devrait « s’ouvrir à d’autres disciplines que l’histoire-géographie ou les sciences économiques et sociales, en fonction des compétences des professeurs, éventuellement validées par une certification complémentaire ou un diplôme universitaire ». Tout est résumé : plus de cadre national, plus de statut et plurivalence des enseignants !
D’ailleurs, dans son rapport de 2024, l’inspection générale ne peut dissimuler ce qu’implique pour elle la pluridisciplinarité.
Une déqualification professionnelle qui remet en cause la liberté pédagogique individuelle. Les collègues ne pouvant pas être experts dans toutes les disciplines se voient réduits au rôle d’exécutants de stratégies élaborées par d’autres. A cet effet doit être mise à leur disposition un « corpus de ressources institutionnelles pertinentes et de séquences illustrant des meilleures pratiques de la pluridisciplinarité » (ibid.).
Un alourdissement du temps de travail des personnels. « la pluridisciplinarité induit des temps de concertation, voire de co-animation ou de co-évaluation » (IGESR, Les enseignements pluridisciplinaires au lycée général, technologique et professionnel, rapport n°23-24 003B – décembre 2024, p. 1).
Une remise en cause du caractère national des programmes nationaux, « en ouvrant les contenus à l’initiative de l’équipe enseignante, soit par une possibilité de choix entre plusieurs modules, soit en ménageant des ensembles libres dans le programme » (p. 2).
L’annualisation des services, « prévoir, pour tout enseignement pluridisciplinaire ou interdisciplinaire, un calcul semestrialisé des services professoraux intégrant des moments dans l’année de co-intervention » (p. 2).
Le recours enfin à la contrainte car « des établissements ou des disciplines confrontés à un manque d’enseignants ou à des mobilités régulières n’ont pas d’autres choix que de solliciter des enseignants qui n’auront pas nécessairement une appétence ou la formation pour mettre en œuvre la pluridisciplinarité. Sur cette question, le sondage réalisé par la mission montre que dans près de 60 % des cas, les attributions de service nécessitent de faire appel à des professeurs non volontaires » p.18)».
Par principe, Force ouvrière n’est pas hostile à la pluridisciplinarité mais elle exige qu’elle ne serve pas de prétexte à la remise en cause des qualifications et du statut des personnels enseignants du second degré ; à l’alourdissement leur temps de travail ; à la fin de leur liberté pédagogique individuelle ; ou pour les élèves à la privation des cours disciplinaires auxquels ils ont droit.
Le SNFOLC réaffirme son exigence d’abrogation de toutes les contre-réformes remettant en cause les enseignements disciplinaires, les diplômes nationaux et avec eux les statuts et missions des enseignants, à commencer par la réforme Blanquer du Lycée et du Baccalauréat, et la réforme Attal du « Choc des savoirs ».
De même, le SNFOLC continue à revendiquer le rétablissement du baccalauréat comme examen national, terminal, disciplinaire, ponctuel et anonyme, premier grade universitaire et l’abrogation de Parcoursup.
Enfin, à l’heure où se prépare la carte scolaire 2025 dans le cadre des 50 milliards d’euros d’austérité du gouvernement Bayrou (dont 1,2 milliards d’euros pour l’Enseignement), et où d’ores et déjà plus de la moitié des académies perdent des dizaines d’équivalents temps plein, le SNFOLC exige l’annulation de toutes les suppressions de postes et d’heures d’enseignement disciplinaires, le rétablissement et la création de toutes les heures et tous les postes statutaires nécessaires.
Le SNFOLC invite les personnels à se réunir avec les délégués d’établissements FO, et chaque fois que possible dans l’unité avec l’ensemble des syndicats, afin de lister les revendications et d’organiser sans attendre le rapport de force efficace pour gagner, la grève jusqu’à satisfaction des revendications, notamment en réactivant les réseaux entre établissements, avec les parents d’élèves.